Rencontre avec Ines Alpha, l'artiste qui explore le futur de la beauté
La réalité augmentée fait désormais partie intégrante de nos vies digitalisées. Filtres, Avatars, vêtements, et environnements fictifs sont les nouveaux apparats du 21ème siècle.
Avec son maquillage virtuel, Ines Marzat, alias @InesAlpha, artiste parisienne et ancienne directrice artistique de la publicité, mène de front cette révolution technologique qui brouille un peu plus les frontières entre réalité et mondes virtuels.
Rencontre (sans filtre) avec celle qui façonne le futur de la beauté et de notre identité numérique.
Comment définis-tu ton art aujourd'hui ?
Ines Alpha :Avant tout, je me définis comme une artiste digitale, spécialisée dans ce que j’aime appeler le Make Up 3D. Ce que j’aime faire par-dessus tout c’est ajouter des éléments en 3D sur les visages, c’est créer des choses inattendues, surprenantes, qui font réagir à l’aide de maquillage digital.
On a tendance à opposer les univers 3D et le monde physique, alors que celui-ci est, de base, en 3 dimensions. J’aime bien ce mot, 3D, parce qu’il nous évoque tout de suite les effets spéciaux, les films comme Avatar et le digital. Quand on dit 3D, on a la vision d’un objet physique, qui prend de l’espace, qui amène du volume. C’est une notion importante qui me permet, avec mes créations, d’être à la frontière des deux univers.
Ça représente quoi pour toi le maquillage ?
IA :Que ce soit sur les réseaux sociaux ou en réel, le visage est la première chose que l’on voit chez une personne, c’est ce qui nous aide à nous identifier, à nous définir et aussi à nous différencier.
Le maquillage cela peut être n’importe quoi tant que cela permet de transformer les visages. Par exemple, on peut utiliser des objets, des insectes, des plantes, de la nourriture… C’est un outil qui permet à chacun de s’exprimer et de transmettre une émotion personnelle au travers de son visage. En digital cela peut revêtir des formes très surprenantes. En utilisant ces outils, on peut dépasser les frontières du physique et créer notre propre réalité.
C’est quelque chose d’un peu magique.
D’où te vient cette envie de transformer les visages ?
IA : Au début d’Instagram, j’ai commencé à suivre RuPaul’s Drag Race, cela coïncidait avec un moment où je découvrais pas mal de personnes qui appartenaient à la culture Drag. J’ai été fascinée par la créativité qui se dégageait de cette scène. Au-delà de se transformer en femmes très belles, ces artistes créent des styles de visages et des beautés très différentes que l’on n’avait pas l’habitude de voir dans les magazines. Cela a réellement éveillé ma curiosité, c’était une vraie source d’inspiration. C’est à peu près à ce moment-là que j’ai eu envie d’ajouter des éléments 3D sur des visages et donc faire du maquillage 3D.
Qu’est ce qui t’as fait penser que les gens pouvaient être réceptifs à ça ?
IA : C’est vraiment quelque chose qui est directement lié aux réseaux sociaux.
L’explosion des réseaux sociaux a donné l’opportunité à chacun d’exprimer sa personnalité. C’est aussi un moment où les gens ont pu trouver des endroits où ils se sont sentis en sécurité, ont pu rejoindre des communautés qui les comprennent et où ils ont pu être fiers de leurs différences, même les afficher. Ils ont pu s’épanouir et vivre leur identité d’une manière inédite. J’ai compris à ce moment que les gens avaient aussi envie de pouvoir s’exprimer esthétiquement en jouant avec leur visage.
Qu'est-ce que tu essayes de transmettre au travers de tes créations ?
IA :Au début le maquillage 3D, c’était vraiment pour m’amuser, et j’ai expérimenté pas mal de choses. J’avais très envie de faire des trucs bizarres, qu’on voyait pas ailleurs. Quand j’ai approfondi mon travail, je me suis demandé ce que ça pouvait apporter de transformer des visages de cette manière, et aussi pourquoi est-ce que naturellement j’avais cette envie de les transformer. Je crois que ce que j’ai envie de transmettre dans mon travail c’était ce truc où j’en avais marre de voir toujours les mêmes choses, les mêmes figures. C’est l’idée de refuser les standards très rigides qui nous dictent ce qui est beau ou pas beau. Les femmes y sont depuis toujours très exposées. Mais la réalité c’est que la beauté c’est quelque chose d’extrêmement subjectif et émotionnel. Depuis trop longtemps on est enfermé dans nos imperfections parce qu’on ne correspond pas à ce qu’il faut être.
Je sais que ça bouge, aujourd’hui les choses changent, des hommes se maquillent, les différents genres peuvent plus « facilement » s’assumer et on a très envie de libérer la parole. En tout cas s’il doit servir à quelque chose, j’aimerais que mon travail aide les gens à mieux s’accepter, qu’il leur donne un outil créatif pour exprimer librement leur beauté et qu’il fasse évoluer l’idée que les gens peuvent se faire de ce qu’est un beau visage.
"J’aimerais que mon travail aide les gens à mieux s’accepter, qu’il leur donne un outil créatif pour exprimer librement leur beauté et qu’il fasse évoluer l'idée que les gens peuvent se faire de ce qu'est un beau visage."
Tu travailles avec de nombreuses marques et des artistes, comment construis-tu ces collaborations ?
IA :Pour mes projets disons personnels, je réserve mes collaborations avec des gens avec qui je vais avoir des connexions artistiques. Ce sont des personnes qui vont m’inspirer, que je vais trouver déjà très belles de base, dont j’aime le travail et dont je suis sensible à leur visage.
Par exemple, j’ai beaucoup aimé travailler avec Salvia. C’est une artiste qui a une beauté très très étrange qu’elle accentue avec des prothèses et avec du maquillage. Elle a un rapport particulier au corps, elle est extrêmement touchante.
D’un autre côté, lorsque je propose un filtre en réalité augmentée je vais pouvoir parler plus facilement de maquillage avec une création qui s’adresse à tout le monde et que l’on peut s’approprier. C’est très important pour moi que l’on puisse se réapproprier mon travail, que les gens puissent jouer avec, que le design ne soit pas statique. En ce moment je suis en train de travailler sur un projet où les gens vont pouvoir choisir et placer des éléments 3D sur leurs visages. Dans un futur proche je pense que ce sera possible de vraiment faire ça avec les doigts ou avec des pinceaux digitaux. On pourra se peindre le visage et jouer avec des textures différentes.
A terme chacun pourra créer soi-même son propre maquillage digital.
Quel est ton regard sur l'évolution de notre identité numérique et la place qu'elle prend dans nos vies ?
IA :On a tous des personnalités différentes et on a tous plusieurs masques que l’on porte en fonction de la situation dans laquelle on est. Notre identité numérique, c’est l’opportunité d’exprimer une facette de notre personnalité que l’on ne montre pas ailleurs. Aujourd’hui on a tous les outils à notre disposition pour pouvoir exprimer ce que l’on veut être, tel qu’on veut l’être. Je ne suis d’ailleurs pas surprise que certaines personnes considèrent leur identité digitale comme leur véritable identité. Ça nous montre aussi la violence dont est capable le monde physique. Aujourd’hui, on ne peut pas sortir dans la rue de la manière qu’on veut. Si l’on est une femme, si la jupe est trop courte, si l’on a les cheveux bleus, on s’expose a beaucoup de violence. Je comprends totalement qu’il y ait des gens qui se sentent juste plus à l’aise et plus eux même avec leur identité digitale.
Même si l’on est toujours un peu dans un rôle, l’important c’est que chacun ait un espace où il peut exprimer librement sa créativité et sa personnalité.
Est ce que le futur de la beauté réside dans les mondes virtuels ?
IA :Je ne crois pas que demain on aura tous des lentilles à nanotechnologies, par contre les technologies progressent vite et j’ai le sentiment que bientôt il y aura de plus en plus une réalité mixte dans notre quotidien. Il y a déjà eu des tentatives avec les Google Glass par exemple, mais c’était trop tôt et trop lourd. Ensuite, c’est une technologie qui coûte très cher et elle sera réservée à une certaine partie de la population. Pourquoi pas porter des filtres et du maquillage digital dans la rue, mais c’est encore un peu tôt.
Ce qui est certain c’est que tous les artifices virtuels ne résoudront pas les complexes et que les gens devront tôt ou tard apprendre à aimer le corps dans lequel ils sont nés.
Au moins, parce qu’ils sont gratuits, les réseaux sociaux ont cette capacité à démocratiser auprès du plus grand nombre des outils comme les filtres ou le maquillage 3D qui permettent aux gens de se révéler. Pour moi le futur de la beauté réside plus certainement dans la fin des standards que véhicule notre société et dans notre manière créative et variée de nous exprimer.
"Le futur de la beauté réside dans la fin des standards que véhicule notre société et dans notre manière créative et variée de nous exprimer."
Demain, est-ce qu'on on achètera tous des vêtements virtuels ?
IA :C’est un truc qui m’a toujours plu. Ado je jouais beaucoup aux jeux vidéo et j’adorais customiser les personnages, à l’époque il y avait déjà beaucoup de clichés sexistes dans la représentation de la femme. Aujourd’hui c’est vrai que le phénomène a pris beaucoup d’ampleur avec des fringues numériques sur mesures pour nos avatars ou des éditions limitées dans Fortnite par exemple. Ça coûte souvent très cher mais c’est la suite logique et on aura certainement tous demain des dressing digitaux.
Ça pose quand même la question de la valeur que l’on veut donner aux choses, notamment si on met dans la balance l’empreinte carbone d’un dressing digital complet d’une marque de prêt à porter.
Que penses-tu de l'émergence des influenceurs virtuels ?
IA :Je pense que c’est un truc auquel il faut faire super attention.
Être influenceur ce n’est pas un métier, ce n’est pas un truc qui se crée comme ça, que tu décides. Donc créer un personnage fictif avec comme objectif de développer son influence sur les personnes est sans doute un petit peu trop ambitieux et un peu dangereux.
Il y a eu plusieurs tentatives comme avec Miquela avec une vraie industrie derrière elle. C’est un parfait exemple qui nous montre que c’est extrêmement couteux pour créer une personnalité qui n’existe pas.
Il y a quand même de beaux exemples, lorsque Louis Vuitton empreinte les personnages de Final Fantasy, ça marche parce qu’il y a une histoire derrière, une personnalité qui a été construite, mais si c’est juste pour reproduire un être humain n’en est pas vraiment un, qui n’a pas de personnalité je ne vois pas l’intérêt.
Ce qu’il est important de garder en tête, c’est que la 3D et le digital, ça permet de faire des choses qui n’existent pas, ça permet de faire des choses que l’on ne peut pas faire dans le monde physique et aujourd’hui on est en train de faire des influenceurs qui ressemblent à des êtres humains. J’ai l’impression qu’on passe à côté de quelque chose, moi j’aimerais voir un influenceur T-Rex ou un extraterrestre…
Les événements et expériences virtuelles se développent de plus en plus, comment imagines-tu que les gens se rencontreront dans le futur ?
IA :Personnellement depuis que j’ai un ordinateur j’ai rencontré autant de gens, voire peut-être plus de gens sur internet que dans la vraie vie. Après si on parle d’expérience humaine il y a un moment donné il faut ressentir l’énergie de la personne, les odeurs et la chimie que ce soit lors d’une rencontre amoureuse ou amicale, professionnelle… Il y a un truc de feeling imperceptible que le virtuel ne permet pas et qui je pense nous rendrait fou si on ne pouvait plus le ressentir. Et très honnêtement les événements en VR c’est pas encore ça.
L’intérêt du virtuel c’est de pouvoir rencontrer des gens comme toi, de découvrir à quelle communauté tu appartiens. Ça ne remplace pas le monde physique mais ça cohabite avec. C’est un outil qui permet de connecter les gens qui se ressemblent et qui ont des choses à partager et c’est déjà quelque chose de fantastique.
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